Le 13 octobre 2020
Le regard de Robert-Jan Van Santen, architecte, fondateur du bureau d’études façades VS-A à Lille
Néerlandais mais lillois d’adoption, Robert-Jan Van Santen est architecte, diplômé de l’école d’architecture de Versailles en 1985. Spécialisé dans l’ingénierie de l’enveloppe, il a travaillé avec Rem Koolhaas sur le projet Lille Grand Palais, un projet qui a lancé sa carrière en France. Il a également participé à de nombreux autres projets aux côtés d’architectes de renom : le palais des congrès de Nancy avec Marc Barani, le Centre aquatique de Londres avec Zaha Hadid, le Mucem de Marseille avec Rudy Ricciotti, etc. Fondé en 1989, son « Bureau d’études façade van Santen » est devenu VS-A en 2010. L’agence est implantée à Lille, Hong Kong et en Corée.
« Lille Grand Palais est un bâtiment d’une modernité incroyable »
Lille Grand Palais figure parmi les bâtiments emblématiques de Lille et de son quartier d’affaires Euralille. En quoi ce bâtiment conçu par Rem Koolhaas, avec qui vous avez collaboré sur ce projet, est-il atypique ?
Outre le fait qu’il soit effectivement atypique, je pense qu’il faut du temps pour l’apprécier. A l’origine, ce projet est un rassemblement de trois programmes qui a priori n’avaient pas lieu d’être groupés et ceci constitue sa première innovation. Le cahier des charges était de concevoir trois lieux en un (salle de spectacle, palais des congrès et hall d’exposition) où l’on pourrait organiser des événements courants mais aussi exceptionnels qui ne pourraient se tenir qu’à Lille. J’ai pris part au projet au moment où les architectes ont commencé à réfléchir sur l’enveloppe du bâtiment. Nous étions en face d’une page blanche : il fallait regarder comment assembler cette façade avec des contraintes budgétaires qui nous sembleraient inimaginables aujourd’hui. Ce bâtiment a un prix au m2 qui était celui d’un bâtiment industriel. Le maire de Lille Pierre Mauroy, lors de l’inauguration, avait d’ailleurs déclaré : « Je suis fier de cet outil pour la ville qui a coûté deux fois moins cher que le Palais des Congrès de Tours construit par Jean Nouvel ! ». Dès lors, nous avons essayé de faire le maximum avec le minimum, autrement dit nous sommes allés à l’essentiel. Nous avons d’abord recherché les matériaux et produits compatibles avec les contraintes budgétaires, puis nous avons exploré les différentes expressions architecturales qu’elles permettaient avant de figer le projet architectural comme il est aujourd’hui. Nous avons utilisé des matériaux standards, peu luxueux comme l’aluminium et le polyester armé de fibres de verre, sans aucune peinture, mis en œuvre suivant des procédés constructifs somme toute très basiques. Au final, ce bâtiment est devenu un cas d’école non pas pour son image architecturale mais pour ses concepts novateurs et son processus de faire l’architecture à partir de contraintes économiques fortes. Il est d’ailleurs souvent visité par des amateurs d’architecture, souvent surpris et éblouis par ses espaces intérieurs particulièrement photogéniques.
Comment ce bâtiment a-t-il vieilli en 25 ans ?
Le temps a marqué ce bâtiment, il l’a fait murir. L’aluminium brut (aucune peinture) est devenu presque mate, se rapprochant des matériaux de construction traditionnels d’avantage que des produits industriels métalliques clinquants. Les matériaux vieillissent, lentement et sans choquer, à la différence de produits dont la peinture s’écaillerait ou qui se salirait par la pollution ou les intempéries. Ce bâtiment a-t-il bien vieilli ? Un bâtiment devient vieux lorsqu’il ne remplit plus ses fonctions. Les utilisateurs se le sont approprié, l’ont fait évoluer et le bâtiment saura certainement évoluer encore. Ce bâtiment est d’une modernité incroyable : sûr qu’il saura s’adapter aux nouveaux modes d’interaction avec le public qui progressivement émergeront de la période trouble actuelle.
S’il fallait le rénover, pas où commenceriez-vous ?
Je pense qu’il y a deux manières d’imaginer une rénovation. Soit en se disant qu’on va réparer ou remplacer ce qui a besoin de l’être : ce serait une intervention purement cosmétique. Pourquoi pas mais selon moi, ce bâtiment reste un outil multitâches, qu’il faut sans doute affûter de temps en temps mais qui sait aussi évoluer. Tout en s’assurant de le faire dans l’esprit avec lequel Rem Koolhaas l’a conçu.
Comment décrirez-vous cet esprit ?
J’ai encore en tête ce qu’il m’a dit un jour : « Étudie bien les parties courantes, mais laisse venir les choses. Les raccords et interactions involontaires font partie de l’architecture du bâtiment ». Ainsi, juste à côté de l’entrée du Palais des Congrès, la façade ondulée du hall d’exposition s’enroule autour d’un escalier circulaire. Elle passe alors en béton pour répondre aux normes de sécurité. En levant la tête, vous verrez un bout de toiture intérieure qui sort à l’extérieur. Cette particularité, une parmi tant d’autres, souligne le tracé souple de la façade, qui vit sa propre vie et la manière dont elle se connecte avec la couverture du bâtiment dont le dessin découlé de considérations toutes autres. Cette « architecture de la rencontre fortuite des éléments», c’était une des innovations trouvées par Rem Koolhaas pour ce projet-ci précisément, et cela contribue évidemment à sa singularité.
Bureau d’études VS-A
www.vs-a.group